Lieux dits

Marne-La-Vallée.

Raconter la ville à travers les histoires qui unissent à un lieu. Demander aux habitants qui le souhaitent de raconter un endroit et l’histoire qui lui est liée. Se retrouver dans un lieu avec son histoire à soi, ou dans une histoire avec son lieu à soi.


La fontaine

C’est un endroit où nous avons commencé à aller vers huit ans. Nous nous retrouvions là-haut. Il y avait un grand champ d’herbes hautes et la VPN derrière. On voyait même les Totems au loin. C’est là qu’on a fumé nos premières clopes. Enfin bon, au début, c’était les bouts d’herbes sèches qu’on cueillait et qu’on allumait, avec le briquet qu’un de nous avait détourné de la maison. Mais bon, cela s’éteignait tout le temps et ce n’était pas très bon...
Un peu plus tard, les mêmes, on a professionnalisé un peu l’histoire... On se retrouvait là, tous les matins avant d’aller à l’école, en promenant nos chiens. On était trois, quatre parfois. On devait être en CM1-CM2. L’un de nous fauchait un paquet de cigarettes à sa mère, son père, ou on mettait des sous en commun pour acheter un paquet. A l’époque, on pouvait encore aller acheter des cigarettes en disant: « C’est pour ma maman ! » au buraliste. On cachait le paquet de clopes dans une poubelle en bois à côté de la fontaine et tous les matins, on fumait une cigarette en promenant le chien avant d’aller à l’école. On était les rois du monde !!!
Mais un jour, sans doute le jour où les gens des espaces verts vident les poubelles, il n’y avait plus de paquet...


Le parking de Continent

Je devais avoir huit ou neuf ans. J’étais avec O. Nous avions décidé, - c’était déjà beaucoup -, d’aller à Continent. Au moins 25 minutes de marche dont 15 en terrain inconnu.
Arrivés sur place, au rayon jouet, nous avons pris une voiture chacun. Une voiture qui se remonte et avance toute seule. Une voiture dare-dare. Et nous sommes sortis sans passer par la caisse.
Sur le parking, j’ai déballé ma voiture et j’ai voulu l’essayer par terre. Elle était cassée. De rage, j’ai sauté dessus à pieds joints.
Il n’en est resté que des miettes...


L’école Beauregard

J’étais en CP. C’était un Samedi matin.
Il faisait froid, cela devait être l’hiver, ou peut-être l’automne. Il était assez tôt, l’heure de la récréation. Nous nous préparions à sortir dans la cour, et juste avant, nous chahutions un peu dans les couloirs.
Je ne sais plus très bien comment cela s’est passé. Je devais être en train de courir pour attraper un de mes petits camarades, - ou une ---, et j’ai foncé dans une porte. Plus précisément dans l’angle d’une porte.
Je n’ai pas eu mal sur le moment mais je me suis aperçu que je saignais. J’ai mis mes mains sous mon front, comme une petite coupe, pour éviter de mettre du sang partout et je suis allé chercher un adulte. Mais mes mains étaient trop petites, et sur le chemin, elles ont vite été remplies. Alors je les ai ouvertes, et cela a fait une flaque par terre.
J’ai repris mon chemin. J’étais comme le petit poucet, quelques gouttes de sang, une flaque, quelques gouttes de sang, une flaque... Et le directeur, je viens de l’apprendre récemment, s’est occupé de moi.
J’ai eu mes premiers points de suture. J’ai appris à lire. Et à regarder devant moi quand je cours.


Le CVE

Je veux parler d’un Noël pas comme les autres.
Nous avions le sapin du CVE.
Un grand majestueux sapin dans l’école et nous avions le droit à un cadeau.
T’imagines ?
C’était magique, surtout pour un enfant.
N’importe qui, d’où que tu viennes, que tu sois musulman, juif, bouddhiste ou catholique.
Nous avions notre Noël.
Jamais une différence n’était faite.
Nous étions toujours traités sur le même piédestal.
Nous avions le droit à notre Noël.
Ce que nous avons appris,
c’est partager et aimer.
C’était génial. Nous étions contents.
Nous avions un calendrier avec des chocolats,
et l’un d’entre nous, différent chaque jour, mangeait le chocolat. Jusqu’à Noël.
Que nous soyons en CP ou dans une autre classe,
nous faisions des choses ensemble.
Le samedi, c’étaient les ateliers cuisine pour faire des gâteaux.
C’est au CVE que j’ai fait mes premières truffes.


La cour de l'école du Mail

J’y passe l’enfance à jouer chaque récréation et après l’école et chaque week-end l’adolescence à traîner chaque soir sans sortie du quartier
Demi-tour puis retour
J’y rejoue mais pas pareil en presque pas encore professionnel j’y organise des fêtes j’invite des gens des artistes des papas des mamans et des grands frères
J’aimerai dire
rien n’a changé


La colline

L’été 1989, nous n’avions pas encore 10 ans. Nous jouions dehors, ma sœur, un copain et moi, à « Action ou Vérité ».Derrière chez moi, sur ce que l’on appelait « La Colline ».
Je ne me souviens plus qui a choisi « Action », mais ma sœur a dit que nous devions nous embrasser, le fameux copain et moi.
Evidemment nous l’avons fait, mais pour que personne ne nous voit, nous sommes allés nous cacher dans le fossé qui longeait la route et la colline.
Aujourd’hui les arbres ont poussé, et je ne sais pas si le fossé existe toujours. Mais à chaque fois que je passe par là, je nous revois tous les deux revenir vers ma sœur, tout rouges.


Les tournesols de la rue de Paris

Petite, lorsque j’allais seule à l’école de musique de Torcy, une chose m’effrayait par-dessus tout: une petite maison avec une porte grillagée qui laissait entrevoir des tournesols géants, énormes, effrayants. La frayeur que m’inspirait ces plantes extraordinaires me prenait totalement. Je ne comprenais pas vraiment cette peur mais elle donnait à ce trajet un étrange parfum d’aventure et d’angoisse.
Un jour, les tournesols ont été arrachés. Leur disparition subite a enlevé le charme maléfique de la rue. J’ai ressenti un soulagement mais étrangement teinté de déception. Aujourd’hui, elle hante encore mes souvenirs d’enfance.


Le petit muret

Petit on se contente de petits espaces
même moi qui aime / aimais déjà tant bouger
le porche du 8 en brique
rouges avec ses petits murets
parfaits
pour mes petites jambes
celles de ma cousine
et la photo qui reste dans un petit cadre en métal
forme hippopotame


La piste cyclable

C’est dans le creux de la descente du Chateau d’Eau de Noisiel. Il y a une piste cyclable avec les mêmes arbres qu’ils ont mis partout. Des catalpas. Ils ont même fait une rue avec. Ça devait pousser vite et ça fait des haricots géants.
D’un côté, il y avait la vraie piste cyclable, et les racines des arbres qui avaient percé le goudron. De l’autre, la partie piétonne. En fait, tous les vélos passaient par là, parce qu’au moins, les arbres n’avaient pas soulevé les plaques. Au bout de cette partie, des escaliers, et une rampe, pour les poussettes.
J’allais à fond. Et je devais penser à autre chose.
J’ai pris la rampe. Et le panneau Decaux qu’ils avaient mis là entre-temps.


Le but

C’est un but de foot. Comme il y en a sur tous les stades de foot. Je jouais en poussin, dans l’équipe de Torcy. J’aimais bien ça. L’été. L’hiver, dans le froid, c’était autrechose.
Tous les Mercredis, on s’entraînait, et le Samedi, il y avait match. Une fois chez nous, une fois loin. Il fallait prendre la voiture ; des fois, cela durait aussi longtemps que le match.
Je ne sais pas pourquoi mais on avait décidé que j’étais attaquant. Ailier gauche. J’étais droitier mais bon...
C’était un match du Samedi, mais je crois que c’était peut-être plus important, ce devait être un tournoi. Car il y avait aussi des tournois. C’était la même chose sauf que c’était plusieurs Samedis dans un Samedi et le Dimanche, il fallait revenir comme si c’était un Samedi.
J’étais devant, à mon poste et le ballon a atterri dans mes pieds. Je me suis approché du but, je devais être à deux mètres, et j’ai tiré. Et j’ai raté...
Là, ça a été l’apocalypse... L’entraineur s’est mis à hurler, je n’étais qu’un bon à rien, etc., etc. Je ne sais même pas si on a gagné ou pas. J’étais anéanti. On ne m’avait jamais crié après comme cela.
Tout ce que je sais, c’est que c’en était fini du foot et moi. Je crois même que la compétition sportive, et je l’ai vérifié plus tard, était morte pour moi ce jour-là. Avec le recul, je lui en sais gré...


Le parc

J’habite en face du Parc de Noisiel depuis plus de dix ans, je le surnomme « mon jardin ». On y a fêté les anniversaires de ma fille sous un grand chêne. Je l’emmenais souvent jouer aux rondins, il y avait beaucoup d’autres enfants. C’est toujours là que je donne rendez-vous à mes amies lorsqu’on a envie de se parler. Le parc est le décor et le témoin de nos confidences joyeuses ou malheureuses.
Aujourd’hui ma fille est adolescente, elle ne se promène plus beaucoup au parc avec ses parents, elle préfère y retrouver ses propres amis.


La piscine

C’est la vitre de la piscine de l’Arche Guédon, celle du grand bassin quand on arrive.
C’était une grande baie qui donnait sur l’eau, derrière laquelle on pouvait parfois apercevoir les filles dont tout le collège rêvait.
On passait toujours devant quand on allait au gymnase, et on s’arrêtait, pour voir qui était dans l’eau. Ou plutôt en dehors de l’eau... Comme ça, on découvrait ce qu’étaient les filles. Au dessus du bassin, le nez collé, on passait un moment à rigoler avec les copains. C’était un de ces endroits où l’on trouvait des réponses à nos questions.
J’ai vu que tout était fermé maintenant. J’ai trouvé ça triste.


Le rideau de fer du salon de coiffure

Rien de particulier sur cette place de quartier avec ses quelques commerces de proximité et d’appoint. Le Félix Potin de mon enfance a cédé la place à une épicerie généraliste meilleur marché où l’on peut faire voyager sa cuisine en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Ouest.
Visible la nuit, au petit matin, les jours fériés et de fermeture, le rideau de fer du salon de coiffure est orné d’une peinture à la bombe aérosol, réalisée à l’époque avec l’accord de son propriétaire par Numa (ou Numasiatik) membre du collectif de graffeurs et danseurs «TKS» (The Kriminal Starz), au début des années 90. La peinture, certes un peu délavée est étonnamment restée intacte.
Je l’ai redécouverte il y a peu en passant à pied dans mon ancien quartier à la nuit tombée ; tapie dans l’ombre avec ses formes abstraites et colorées, sorte de tourbillons ou de spirales en cascade. Tourbillonnante et encore bien vivante, cette peinture m’a aspiré dans une faille spatio-temporelle me ramenant à l’adolescence dans mon quartier.
Pouvoir de cette peinture murale posée comme une ’’songline’’, pouvoir des oeuvres d’art que de réveiller les souvenirs, provoquer l’introspection,la nostalgie et d’injecter de l’énergie  brute pour toutes ces choses que l’on veut accomplir...


Le commissariat

C’est une petite fenêtre que l’on voit depuis le trottoir lorsqu’on passe le long du commissariat de Noisiel. Elle est toute petite, sur ce grand mur de béton. C’est la fenêtre qui donne sur le couloir des cellules de garde à vue. Tu peux y rester six, douze, vingt-trois heures et cinquante-neuf minutes parce qu’au-delà de vingt-quatre heures, cela fait de la paperasse. Jusqu’à quatre-vingt seize heures il me semble... Cela dépend de la gravité de ce que tu as fait. Ou pas. En fait, personne ne sait plus très bien de quoi cela dépend.
Tu as le droit de rester assis sur ton banc de béton. Tu as le droit de réclamer à boire tant que tu veux jusqu’à ce que la personne qui te garde veuille bien te donner à boire. Tu as le droit de demander à aller aux toilettes jusqu’à ce que la personne qui te garde veuille bien t’emmener aux toilettes. Tu as le droit de te demander si ce que tu as fait est mal ou pas. Tu as le droit d’être coupable ou innocent. Tu as le droit de demander combien de temps cela va durer mais cela ne sert à rien. Tu as parfois le droit à un sandwich. Le téléphone, le médecin, l’avocat, je ne sais plus très bien si c’est un droit ou si c’est dans les films américains.
Je suis juste sûr d’une chose : dans ce couloir, tu as plus de devoirs que de droits...
Depuis 2001, le nombre de garde à vue est passé de 336718 à 562083 en 2008. La délinquance n’a pas baissé dans les mêmes proportions...